Billet de Florence.
On s'en avise plus volontiers dans une ville qu'on n'habite pas, qu'on vient visiter : la vie moderne a isolé, dans la grande ville, la beauté, en îlots protégés, systématiques, presque absurdes — exceptions au bruit, à la vitesse inutile, au décervelage — exceptions de lenteur et de grâce...
Ainsi de Florence : la ville splendide est incessamment menacée. Il ne s'agit guère, ou pas, des touristes, lesquels affluent certes en été, envahissent trottoirs, églises et musées, demeurent cependant de placides passants. Non, le péril vient des Florentins eux-mêmes, et de la voirie. Je ris volontiers des descriptions enthousiastes des écrivains-voyageurs modernes ! Les trottoirs étroits gênent la promenade durant laquelle les rues parées des plus élégants palais doivent être admirées dans le fracas omniprésent, la circulation frénétique des voitures et des vélomoteurs qui pétaradent, sans oublier les vélocyclistes qui surgissent brutalement devant le flâneur qui s'attarde ; les rues piétonnes n'en sont guère, qui sont entravées par les véhicules sans façon de la police et de l'hygiène ; sur les places publiques, peu de bancs ; si peu de squares, si peu de jardins pour haltes... Et l'entrée des somptueux Jardins de Boboli, au Palazzo Pitti, est mesquinement payante — Imaginons verser, à Paris, quelques unes des pièces d'or de notre bourse pour pénétrer, afin de les posséder, dans le Jardin des Tuileries, dans le Jardin du Luxembourg... On ne flâne guère à Florence... On fait halte dans un café — mais la petite terrasse protégée du soleil est si proche de la rue de bruit et de fureur... On se réfugie dans une église, dans un musée. Ouf... La beauté des collections exceptionnelles de peintures et de sculptures — ô Simone Martini, ô Giovanni da Milano, ô Masaccio, ô Fra Angelico, ô Botticelli, ô Michel-Ange — plonge quelques heures dans le silence d'or de la ligne, de la couleur et de la pensée... Puis soudain, l'on prend conscience d'être là sur une île... Ces lieux chargés du Passé, de mémoire, de pensée, de triomphe, apparaissent tel un archipel dont chacun des îlots serait entouré de vociférations, de laideur, d'hostilité... Que l'on est loin de la douce Florence de Giorgio Vasari, chantée au XVIème siècle ! J'avais emporté mon livre des Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes (1568). C'est que naïf l'on rêve et l'on cherche encore des villes entières qui soient des îles dans l'Océan rugissant de la Vie moderne.