L’on rencontre rarement Jean Tzetzès dans les livres ; et quand il est question de lui, ce n’est qu’en passant, et un singulier silence demeure malgré tout, autour de son nom. Il faut dire que la matière n’abonde pas sur sa vie, et que ses ouvrages, nombreux, sont pour la plupart inédits : il laisse une Théogonie, des Allégories et Abrégés sur Homère (les Ante-Homerica, les Homerica, les Post-Homerica), des commentaires sur Hésiode, Aristophane et d’autres auteurs grecs ; son Iliaka est une épopée en trois Livres sur la Guerre de Troie ; il existe aussi une centaine de ses Lettres, adressées à des érudits et aux puissants de son temps. S’il est encore lu par quelques uns de nos jours, c’est pour ses Chiliades, une compilation d’anecdotes puisées chez quelque 400 auteurs, évoquant les textes importants de la littérature grecque et réparties en 13 livres de 1000 vers chacun.
Il naît vers 1110 de Michel Tzetzès et d’Endocie ; il a pour frère Isaac Tzetzès qui fut un savant lui aussi. C’est un Grec, originaire de Constantinople : issu d'une famille aisée, il est secrétaire et professeur dans cette ville. Il correspondra avec Irène, l’épouse d’Andronic Ier Comnène, empereur byzantin de 1183 à 1185. Il fut surnommé « le Grammairien » en raison d’un don qu’il manifesta dès le plus jeune âge : sa mémoire exceptionnelle, qui frappa ses contemporains pourtant exercés à la récitation et au souvenir mnémotechnique. Jean Tzetzès pouvait réciter par cœur tous les livres qu’il avait lus : les classiques grecs qu’il avait commentés, mais aussi la Bible tout entière, du Pentateuque à l’Apocalypse. Ce Funes borgésien des livres (1) s’enorgueillissait en affirmant que jamais encore Dieu n’avait créé un homme qui eût possédé une mémoire plus considérable que la sienne. Quand il meurt, vers 1185, c’est véritablement une bibliothèque qui disparaît, selon les mots de beaucoup de traditions orales, notamment africaines (2). De cet esprit encyclopédique, il reste des bribes dans les mémoires, dont ce billet est encore la moindre.
Jean Tzetzès est un homme-livre du XIIème siècle : c’est dire assez comme il est l’une de ses ombres.
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(1) Funes est un personnage qui apparaît dans la nouvelle de Borges, « Funes ou la mémoire », parue en 1942 et reprise dans le recueil Fictions (1944) : il est l’homme de la mémoire qui enregistre absolument tout, jusqu’à la folie.
(2) Selon la belle (et fameuse) phrase reprise par Amadou Hampâté Bâ, en 1960, à la Conférence générale de l’UNESCO : « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. »