Le sort de tant de peintures, dans les grandes villes, est trop triste, décidément : certes je commence à radoter sur ce sujet, mais prisonnières de salles bondées le jour, vides la nuit, et saturées de bruit ou d'indifférence, elles entendent trop souvent des sottises, selon la phrase fameuse, et elles regardent, et elles attendent tant de regards qui ne les voient pas...
Au fond je ne vois qu'une solution : le retour à des galeries privées, des galeries de princes sans principauté... ; mais celles-ci seraient ouvertes à qui le voudrait vraiment.
Il faudrait que le Louvre, par exemple, me donne le Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain de Turner, ou, pourquoi se priver ?, L'Annonciation de Rogier Van der Weyden. Bien sûr, mon égoïste plaisir serait comblé. Je m'engagerais cependant, en contrepartie, à montrer la toile, sur rendez-vous, dans mon haut salon minuscule et silencieux, à qui le souhaiterait, sans discrimination, cela va sans dire... Ce serait là l'occasion d'échanger mille propos devant l'un des plus beaux tableaux du monde ; ou bien de se taire souverainement, ce qui serait sans doute préférable.
Il faudrait évidemment prévoir l'édition d'un Guide (provisoire et aléatoire) des Propriétaires amoureux de la Beauté, consultable à loisir, sur l'Internet, notamment.
Que nul ne m'oppose les inconvénients d'une telle entreprise ! Je les ai prévus, naturellement, mais je les ignore, et superbement, cela va sans dire.